30/12/09 – La Courneuve (93)
« Vous voyez le trou dans la barre, là ? Et bien avant, c’était chez moi. »
Quand elle m’a dit ça, je n’ai pas relevé. Il faut dire qu’elle en raconte tellement Madame Z. que les psychiatres appellent ça une pathologie. Dans la vie courante on dirait qu’elle a « une case en moins ».
… Et puis au fil des rencontres avec les habitants et les partenaires, j’ai commencé à mieux connaître l’histoire du quartier.
Comme tant d’autres, la cité des Quatre Mille Logements a été construite dans les années cinquante (1956) dans cette France glorieuse, en pleine reconstruction. L’appel à la main d’oeuvre était fort. Venus du Maghreb ou du sud de l’Europe, ils espéraient un jour vivre dans les logements modernes qu’ils batissaient de leurs mains.
En ce temps là, la cité des 4000 avait des allures de ville modèle. Pour beaucoup, c’était le premier accès à un logement bénéficiant de l’électricité, de l’eau courante, et du chauffage.
La cité cosmopolite résonnait d’accents des quatre coins du monde et de Navarre. Juifs, chrétiens, musulmans ou anti-cléricaux, fonctionnaires ou ouvriers, ils avaint en commun de connaître la valeur du mot « ensemble ».
… Et les Quatre Mille Logements étaient justement un « grand ensemble ».
Mais les beaux jours passés à remercier la France du haut des tours en contemplant les gazomètres, le Sacré Coeur et la Tour Eiffel ne durèrement pas longtemps.
La guerre d’Algérie et le premier choc pétrolier oeuvrèrent ici comme ailleurs: le taux de chômage augmentait, et la cité construite en urgence à titre provisoire montrait ses premiers signes de dégradations… travail d’arabes, et de tant d’autres… boucs émissaires.
Dans les années 80, les premières colères de la jeunesse des quartiers fit naître une nouvelle discipline: la politique de la ville (comme si politique ne signifiait pas déjà affaires de la cité !).
Chercheurs, artistes, journalistes analysèrent que les quartiers s’insularisaient (ou qu' »on » les mettait au ban… tout dépend du point de vue).
Un architecte se pencha sur le monstre des 4000: le Grand Balzac (185 m de long/50 m de haut). Il fut décidé qu’en l’agrémentant de trois arches suspendues, ouvrant la cité sur l’ailleurs, la vie serait plus belle. Il s’agissait de donner du champs et des possibles à ses habitants. Réhabilitation de l’espoir.
Pour ce faire, trois blocs de deux logements furent supprimés.
Le trou dans la barre que vous voyez, là… c’était chez Madame Z.
Une partie de son histoire se résume à ce trou – béance- …une case en moins dans le bâti de son histoire.
Une partie seulement…
Madame Z. est née en Algérie, avant l’Indépendance. En 1962, elle quitte la maison de son enfance, qu’elle ne reverra jamais pour un pays qui n’est ni le sien ni celui de ses ancêtres… mais c’est comme ça, Crémieux l’a décrété. La famille occupe alors un duplex au Grand Balzac. En 1980, la réhabilitation de l’espoir oblige la famille à déménager dans une barre voisine: Renoir. Celle-ci sera détruite en 1998. Elle quitte alors Renoir pour Presov, détruite en 2003, et réintègre le Grand Balzac.
En 2006, dans la perspective de sa démolition à l’horizon 2010, on entame l’opération de relogement…
Madame vit actuellement dans un quartier de la commune. Jusqu’à quand ?
Les psychiatres disent qu’elle souffre de troubles de la personnalité, qu’elle est morcelée…