Bonjour,
Je vous signale l’existence de L’ATELIER, blog d’écriture participative du Collectif ESORS. Un lieu où il fait bon croiser la plume !
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Tagué Anne Melki, collectif ESORS, théâtre, Travail social
Dugny, 26 mai 2013
Il dit: « je cautionne pas les gars qui se font cramer dans les mairies ou qui tabassent la guichetière… mais quand même… des fois je me demande… Parce ce que je suis en arrêt maladie je deviens un moins que rien qu’on traite comme de la merde ? La sécu m’a pas payé depuis 5 mois, tout ça parce qu’ils sont pas foutu de faire suivre correctement leur courrier. Franchement… y a trois millions de chômeurs qui demandent qu’à les aider… J’ai eu le malheur de hausser le ton, j’avoue… mais je sais plus comment faire bouffer mes mômes et mon probloc et sur mon dos, et ça me stresse. Elle m’a dit: « vous vous etes bien débrouillé pendant 5 mois… vous allez pouvoir tenir encore un mois le temps qu’on traite votre dossier… et maintenant, vous pouvez disposer Monsieur ». je suis resté là comme un con, j’ai eu envie de lui dire « vous savez, moi aussi j’ai un métier, une maison, une famille, je suis comme vous »… mais non… je me suis dit: on vit plus dans le même monde. Et là j’ai compris les gars qui se font cramer dans les mairies ou qui tabassent la guichetière ». Elle fait mal la f(r)acture sociale.
Dugny, 26 mai 2013
Je la rencontre pour la première fois. Elle est venue avec sa fille, âgée de 8 ans.
A la fin de l’entretien -disciplinée – je synthétise, et je lui demande s’il y a des sujets sur lesquels nous aurions fait l’impasse. Je lui demande si j’ai été claire. Je lui dis aussi:
– Avez-vous des questions ?
Elle fait non de la tête.
Je m’apprête à me lever pour la raccompagner quand une petite voix au doigt levé me scotche à ma chaise:
– Madame qui est ce qui arrête la pluie ?
Le 28 juin de 14 à 18 heures les Brèves de rues seront exposées dans le cadre de la journée portés ouvertes de l’Ecole de Service Social de la Cramif – 17 rue de l´Argonne – 75019 Paris.
Cette exposition rend compte de dix années de pratique du travail social et de déambulations en Seine-Saint-Denis. Si vous êtes dans le coin…
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La Courneuve – 25 avril 2012
Je sors de visite à domicile. La famille vient d’obtenir la nationalité française. Elle n’est pas plus – ni moins- aux prises avec ses difficultés sanitaires et sociales qu’auparavant. Elle n’a pas plus – ni moins – de droits ou d’aides sociales qu’auparavant. La souffrance n’a pas de préférence nationale.
Paris, 29 mars 2012
Alors que dans l’organisme de protection sociale qui m’emploie se prépare à une ènième réorganisation qui conduira tout à la fois à une dégradation des conditions de travail et du service rendu… alors que toutes les branches de la protection sociale: maladie, famille, vieillesse, chômage sont logées à la même enseigne… nous n’étions que 600 professionnels pour la défendre aujourd’hui à Paris… Moi qui croyais que la rivière…
La Courneuve, 6 octobre 2011
Ce matin, la Préfecture a ordonné l’évacuation d’un camp Rom à la La Courneuve.
Ce soir – comme après un séisme… comme on voit à la télé… mais jamais à propos des Roms – certains d’entre eux errent hagards sur les ruines à la recherche de leurs effets personnels ou de ce qui pourrait leur servir à recontruire ailleurs…avant qu’un jour encore… plus rien.
La Courneuve, 12 mars 2012
Dans nos métiers, on s’intéresse beaucoup aux lapins… aux rendez-vous manqués, à l’absence non justifiée. Ces défections impromptues réinterrogent la dernière rencontre, ce que nous n’aurions pas su entendre, ou pressentir de l’autre; réinterrogent aussi notre propre discours, nos maladresses, nos miroirs trop brutaux, notre appétence à planifiertrop vite.
Et puis il y a les aléas, les matins de pluie, les jours sans tram, le froid d’hiver.
Aujourd’hui, il fait beau. Un soleil neuf éclaire la ville.
Jour de permanence. Dans mon clapier sans fenêtre, il y a plein de lapins, de tout petits lapins, qui dans un rayon de soleil auront oublié la maladie, la vie qui pèse… et l’assistante sociale.
J’aime bien ces lapins-là…
Avignon 13 juillet 2011- café Le Square (Saint Martial)
Il pleut des flaques au pays des enfants de Vilar.
Lui, la cinquantaine, vieux beau(f), se vante d’avoir acheté son bateau avec un tube fait dans les années 80. Est l’auteur d’un spectacle se jouant en ce moment en off qui lui a permis d’acheter son appartement, précise-t-il.
Dit qu’il regrette qu’Avignon soit devenu: « un festival populaire qui se démocratise » ne comprend pas la politique du off qui consiste à proposer des spectacles à bas prix. « si on proposait des spectacles à 35 euros, il y aurait autant de monde, alors pourquoi se priver ? »
Il pleut du fric au pays des enfants de Vilar.
Paris, 10 mars 2012
Je suis retournée rue Caillé…
En un an, la rue s’est recontruite. Rue vide et fantôme que surveillent les géants de pierres neuves. Même le coiffeur – seule âme qui vive – est devenu moderne. J’ai l’étrange impression, bien plus qu’il y a sept ans – du temps des rats et des becs de cygnes – de traverser un champ de ruines. Blues du Nord.
Rue Caillé 2005: L’inconfort de la modernité
Rue Caillé 2009: Sur les décombres de la classe ouvrière
Rue Caillé 2011: La ville liftée
La Courneuve – 9 novembre 2011
« Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ».
Même enrobée de miel, la cigüe qu’on nous fait avaler a un goût amer.
Jusqu’où supporterons-nous qu’ils aillent ?
S »indigner ne suffit plus.
La Courneuve- Dugny, décembre 2011
Suzanne, ses poupées et ses tigres en peluche recouverts d’un édredon, parce que « c’est l’heure de la sieste ». Suzanne et ses 55 ans.
Francine – la mère de Suzanne – les pigeons, la culotte souillée, et ses tigres en peluche qu’elle caresse en entrant dans sa chambre. Francine, ses yeux qui rient, et la fierté des communaux. Francine, son alzheimer et ses 85 ans.
Des vies
Monsieur Fifin, ses larmes, et la voix qui s’étrangle sous les fourches codines des mauvais coups du sort. Le cancer de sa femme qui récidive.
Des vies.
Monsieur Pétard, sa quarantaine adulescente, sa jambe en moins, sa force et son courage en plus.
Le frère de Monsieur Pétard – une gueule à la Manu Chao, la folie dans les yeux en plus – qui l’héberge et me demande d’ôter mes chaussures en entrant dans le salon « car le tapis a coûté 600 euros ».
Des vies
Madame Durmaquel, qui a tant cheminé depuis qu’on se connaît…
Des vies
Des vies reçues – comme un cadeau, comme une blessure, comme une colère, comme un leçon, comme un combat – en permanence.
Bobigny, décembre 2011
Quand je m’écoute vraiment – promenades introspectives – ça tangue, ça souffre à l’intérieur… Le plus souvent, bienséance oblige, je maquille – entre rebelle et bisounours – l’impuissance saillante : une gueulante contre les procédures déshumanisantes, ou contre les assauts eugénistes du gouvernement… Et puis parfois petit cœur d’artichaud se prendre tout ça dans la gueule comme autant de renoncements à ce qui me fonde, à ce que je crois, à ce que j’espère, à ce que je veux…
Je me souviens des cours d’athlétisme au lycée : tours de stade en plein hiver au petit matin. J’ai toujours trouvée ça con l’endurance…
J’ai eu mon DE en 2003, aboutissement d’un parcours universitaire, professionnel et engagé. Bientôt 9 tours de stade… j’endure….En théorie, il m’en reste 22… et quelques réformes de retraites…
Oh bien sûr, je ne peux pas dire que ces derniers tours ne m’aient pas nourrie et construite, ni que je n’ai pas eu le sentiment d’être à ma place.. mais j’ai le sentiment – comme dans un mauvais rêve – qu’un putain de petit diable s’amuse à rajouter des haies sur les couloirs. Ça me fait mal aux genoux… et aux idéaux bien plus encore.
Quand je m’écoute vraiment – promenades introspectives – ça tangue, ça souffre à l’intérieur… J’ai envie de me barrer, d’arrêter tout ça, vite fait.
« Tout ça » entendons nous bien, c’est pas ce qui pour moi définit le travail social (lien, cheminement, rencontre, accompagnement vers un renouveau de soi, et un pouvoir d’agir)… mais tout le reste… tout ce qui nous éloigne de l’autre, et du métier… tout ce qui fait plus d’une bonne moitié de mon temps de travail.
Parfois avec des potes, on rêve… « et si on gagnait au loto… on ferait quoi ? » C’est drôle, on en arrive toujours à la même conclusion…. Si on gagnait au loto, on aurait les moyens de faire vraiment notre travail…
Ça me fait penser que quand j’étais encore soumise au contrat de bourse qui me liait à mon institution, je me disais que si je gagnais au loto, je rachèterai ma bourse pour me sentir libre. Quatre tours plus tard, je ne me sens pas plus libre ? Pourtant, on ne peut pas dire que je me sois collée trop de chaînes… pas de crédit immo, pas de gosses à nourrir… pas trop endettée… tout juste quelques obligations morales.
Je suis dans le 10 ème tour de stade – pas les 16 derniers mètres, mais presque – celui des 40 piges. De plus en plus souvent je pense à demain, après demain…
Dans quelques jours, une amie part à la retraite… la mort dans l’âme de combattante, car elle n’aura pas pu inverser la vapeur ces cinq dernières années dans le service social où elle travaille. Je ne veux pas de ça pour ma vie.
Je veux pas attendre d’avoir gagné au loto pour réenchanter le social , pour inventer, créer, et travailler à agir pour lutter contre la relégation, le délitement du lien social et la perte de pouvoir d’agir. J’en ai marre de rentrer chez moi le soir en me disant que j’ai pas fait autre chose que beaucoup de bruit pour rien…Le constat est un peu velléitaire si je continue encore longtemps de faire mon hamster qui procrastine autour du stade.
Et les potes…et on décidait qu’on avait gagné au loto ?
Drancy – 19 janvier 2010
En s’y promenant, on se dit qu’elle n’a l’air de rien cette vieille cité de Seine-Saint-Denis, pilote au temps de sa construction, dans les années 30.
Une PMI , une Sécu, une épicerie, quelques restos… tout y est… et y’a même un musée !
Cité de la Muette… qui a pourtant tant à dire, tant qu’il paraît qu’il y a de « drôles de voix qui grondent »et des « murs à sans arrêt gémir ». (Jean Guidoni)
Cité de la Muette, à Drancy, d’où partirent pour Auschwitz 67 000 hommes, femmes et enfants… Moins de 2000 en revinrent…
Comment vit-on à La Muette aujourd’hui ?
La Courneuve – 28 septembre 2010
Il vient de Belgique, il est arrivé en France il y a trois ans, et quatre jours après avoir signé son cdi, il a eu un accident de travail. Quand je le rencontre, il vit avec une rente de 153 euros par mois, et sa marche vers l’emploi est à réinventer.
Il fait tout ce qu’il peut pour limiter les dettes, mais… Il m’apporte sa dernière facture d’électricité. 350 euros pour l’année, et il me dit qu’il ne pourra pas la payer. J’appelle son fournisseur d’énergie, pour mettre en place le dispositif d’aide … » Ah bah non, ça va pas être possible, il faut que nous ayons reçu un rejet de prélèvement pour que l’aide soit possible« .
Monsieur devra engraisser les banques de frais de rejets – payer son tribu au capitalisme – pour qu’en échange « on » consente « à faire un geste »
On prévient les risques des entreprises… et ceux des citoyens ?
2 mars 2011 – Rue Caillé – Paris 18
Je suis retournée rue Caillé. D’autres immeubles sont tombés. Sentiment d’urgence face à ce quartier dévasté. Photographier « pour se souvenir » qu’un jour Paris fut autre chose qu’une ville liftée.Pour la première fois, j’ai la conviction de faire de la photo « engagée » … à contre-courant. Shoot militant.
La Courneuve, 20 décembre 2010
Je regarde son épais dossier posé sur mon bureau…
Il est en arrêt maladie depuis trois ans. Dans l’attente d’une greffe, il doit se rendre trois demi-journées par semaine à l’hôpital.
Depuis trois ans, son employeur (qui est aussi son propriétaire) refuse de faire les démarches administratives qui lui permettraient de bénéficier d’un complément à ses indemnités jounalières versées par la sécu. Alors depuis trois ans, il vit avec un peu plus de la moitié d’un smic.
Les premiers temps cela a été très difficile pour lui financièrement – mais comment cela pourrait-il en être autrement ? – le loyer, les impots de l’année précédente, l’argent à envoyer à son épouse restée au pays, dans l’attente du regroupement familial.
C’est comme ça que ça se crée souvent une dette locative: à petits coups… comme un bleu…
Nous avons travaillé ensemble sur l’équilibrage du budget. La reprise du paiement du loyer courant assorti d’un petit petit apurement mensuel de la dette a pu se mettre en place.
Nous envisagions pour Noël de solliciter un dispositif du Conseil Général qui permet sous certaines conditions de solder la dette par le biais d’une subvention ou d’un prêt à taux zéro.
Mais son propriétaire (qui est aussi son employeur) a refusé de signer la fiche navette permettant le pasage en commission du dossier, au motif que si la dette était réglée, il allait « s’incruster… et là plus moyen, de l’expulser »
Je regarde son épais dossier posé sur mon bureau, et je repense à notre cheminement commun, et à ma joie profonde de ces derniers mois: c’est rare les accompagnement sociaux qui permettent réellement un mieux-être… la prochaine étape était pour janvier 2011: début du travail sur un reclassement professionnel adapté. Naïveté de l’assistante sociale, qui se fait avoir… comme un bleu… un bleu à la justice sociale.
Je repense à notre connivence de mars dernier: https://brevesderues.wordpress.com/2010/03/22/identite-nationale/
Et je me demande jusqu’à quand lui faudra-t-il lutter, nous faudra-t-il nous indigner ?
La Courneuve – 23 novembre 2010
… Et puis un jour la patience désarme quand ils parlent de « dématérialisation de la relation » dans les services publics…
La patience désarme à les voir enrober de sucre et de poudre de perlimpimpin leurs injonctions paradoxales.
La patience désarme quand on voit les moyens que nos institutions se donnent pour nous apprendre à faire avec le peu qu’il nous reste… et tout ce qui nous attend encore.
La patience désarme à les entendre se repaître de concepts opérationnels pour légitimer les soi-disant nécessaires « changement de culture » et l’appel à la « culture du changement ».
La patience désarme devant les outils – issus tout droit du marketing- qu’ils appliquent au social: coaching, reporting,storytelling, ing ing ing…
Et quand la patience désarme, c’est drôle… le seul mot en « ing » qui me reste… c’est le mot poing…
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Tagué Anne Melki, assistante sociale, Brèves de rues, collectif ESORS, dématérialisation de la relation, Ethnotexte, La Courneuve, La loi du marché, maltraitance institutionnelle, management, marketing, photographie sociale, Seine-Saint-Denis, services publics, Travail social
La Courneuve – 13 octobre 2010
Elle dit « Je suis désolée, j’ai plus de voix, j’ai fait la manif hier »
Elle était venue me voir il y a quatre ans dans le cadre des démarches à mettre en oeuvre pour son reclassement professionnel à la suite d’un accident de travail.
Elle est femme de ménage dans un grand hôtel parisien.
Peu à peu, elle retisse ces quatre années qui séparent non rencontres: son reclassement, sa rencontre avec la représentante syndicale qui l’a accompagnées dans la dégociation de l’aménagement de poste.
Elle me dit son engagement dans le syndicat, les luttes qu’elle a mené avec ses collègues, et les avancées obtenues: allègement des postes des seniors, des travailleurs handicapés. Elle dit « vous savez chez nous ça cogne, on lâche jamais l’affaire… on lâche rien ».
Elle me dit avoir pris à ce moment-là la décision de divorcer, et qu’avant, elle ne se rendait même pas compte qu’elle n’était pas heureuse. Elle dit « la fatalité ça existe pas, j’ai découvert ça« .
Et je me dis – profession intermédiaire – que le changement viendra de la base.
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La Courneuve – 2 novembre 2010
Hier, je pensais à nous – assistantes sociales – à nos outils, nos armes, nos plans d’aide bâtis sur mesure, à notre engagement professionnel… à nos heures passées à pisser dans des violoncelles…
Aujourd’hui, je pense à son chemin parcouru… à la fierté de son sourire.
Je l’ai connue il y a quatre ans. Elle occupe alors un poste de femme de ménage en milieu hospitalier. Elle développé une allergie aux produits d’entretien… méchante maladie professionnelle, réduisant de plus d’un tiers sa capacité respiratoire. Elle a 37 ans, et vit seule avec deux enfants…
Je me souviens du jour où je lui ai parlé de la Reconnaissance Qualité Travailleur Handicapé comme d’une baguette magique qui lui permettrait de « réinventer son avenir professionnel ».
Je me souviens lui avoir demandé « qu’est ce que vous vouliez faire lorsque vous étiez enfant ?« … et je me souviens m’en être aussitôt mordue les doigts… simili démiurge, pseudo magicienne faisant fi du principe de réalité de l’emploi des personnes atteintes de pathologies lourdes… sorcière aux philtres dangereux…
Elle m’a dit qu’elle avait arrêté sa scolarité en cinquième adaptée, qu’à l’époque elle aurait voulu être électricienne, ou travailler avec des ordinateurs… mais qu’elle n’était pas assez bonne à l’école… et puis qu’il avait fallu travailler pour aider sa mère à élever les enfants.
Nous avons cheminé, rêvé ensemble… jusqu’à ce matin…
Je ne l’ai pas revue depuis deux ans. Elle me tend une feuille.
Elle vient de terminer avec succès une formation de 19 mois en secrétariat médico-social… niveau bac.
Paris – 06 novembre 2010
Réduction du droit aux allocations logement, report de l’âge légal de départ à la retraite à taux plein, déremboursement des dépenses de santé… et j’en oublie.
Non remplacement des départs en retraite dans les services publics (à hauteur de 1/2 pour certains), réduction des budgets d’aides extra-légales… et j’en oublie.
Parfois je me demande comment-pourquoi les travailleurs sociaux que nous sommes laissent faire.. acceptant silencieusement que se défassent les droits sociaux au profit d’une société de la charité…
Dugny – 6 octobre 2010
Je l’ai rencontrée pour la première fois en janvier 2010. En théorie, elle n’a aucun problèmes financiers, elle occupe un poste important dans un grande banque française. Mais… les coups de béliers successifs de la vie ont un jour brisé tous ses étais, ouvert la brêche de la dépression profonde… glissement progressif vers un retrait du monde. Morte à elle-même, ne plus souffrir.
Lorsque je la rencontre, elle ne règle plus ses factures depuis plusieurs années. Elle n’ouvre plus ses courriers, et ne fait plus valoir ses droits aux indemnités journalières de la Sécurité Sociale… Elle est convoquée dans un mois au Tribunal pour sa dette de loyer.
Lent travail à petit pas pour l’empêcher de souffrir davantage, pour éviter les coups de bélier inutiles.
Solliciter les dispositifs qui tout en la protégeant rassurent aussi les créanciers: dossier de surendettement, protection des majeurs vulnérables (tutelle), demande de plan d’apurement au Tribunal.
Et ça marche: le juge, propose un renvoi du dossier en novembre 2010, le bailleur est d’accord. Et Madame reprend le paiement du loyer, et rembourse chaque mois une petite partie de la dette. Nous pouvons souffller, et Madame recommence à espérer…
Et puis… le 1er octobre, le Préfet a prononcé l’expulsion, sans passage en commission de concertation (ce qui est en théorie l’usage), sans en avertir le Maire (qui en vertu de ses pouvoirs de Police devrait l’être)…
Violence de la décision, et des conditions d’expulsion de cette femme de 59 ans aujourd’hui sdf: « Vous n’avez qu’à appeler le 115 » lui dit l’huissier
Les béliers sont devenus chacals…
Aujourd »hui je pense à nous – assistantes sociales – à nos outils, nos armes, nos plans d’aide bâtis sur mesure, à notre engagement professionnel… à nos heures passées à pisser dans des violoncelles…
La Courneuve – 22 octobre 2010
Ce soir, dans le cadre de mes activités associatives, j’anime un atelier d’écriture avec des femmes dans la cité des 4000.
Vous savez de ces quartiers dont au parle au JT quand il est question de parents démissionnaires, de communautarisme, et de karcher…
De ces cités sur lesquelles on ne lève pas le voile.
Et pourtant ce soir, elle écrivent et elles disent: la vie dans les quartiers, leurs rêves, leur place dans la société. Elles portent la voix de leurs soeurs, de leurs mères, de leurs filles… de ces voix sur lesquelles on ne préfère pas lever le voile…
L’une d’elle écrit que son père – immigré maghrébin- était ouvrier dans une entreprise de goudronnage des voies publiques, et que depuis l’enfance, elle n’a jamais cessé de dire « Là, tu marches sur le sol de mon père »
Et la France qui a peur -tous les jours à 20 heures- se voile… bafouant le sol de son père…
La Courneuve – 11 janvier 2010
La première fois que je l’ai rencontrée, elle est venue m’ouvrir- long temps d’attente – en rampant. Je l’ai suivie jusqu’au salon. Elle a pris appui sur ses coudes – habitude – pour se caler contre le canapé, à même le sol.
Elle a pointé le menton pour me désigner une chaise, face à elle.
Mon corps. Impuissant, raidi. Goût de fer. Souffle métal. L’esprit gourd. Instinct. Urgence. Pas pensé à me demander si c’était pro ou pas.
M’asseoir par terre – face à face – son regard dans le mien – l’écouter.
D’un regard, elle m’indique le couloir, où sont alignées – camaïeu – des chaussures à talon.
« Vous savez, j’étais une belle femme avant »
La Courneuve – 7 février 2010
Elle est femme de ménage dans les TGV… C’est vous dire si elle voyage… Elle est arrivée en France à l’âge de 18 ans, et depuis, elle occupe le même poste, dans la même entreprise. Elle a 59 ans. A plusieurs reprises, ses patrons lui ont proposé un poste de chef d’équipe. Elle a refusé. Pas d’accord avec la logique de productivité.
Je la rencontre à la suite d’un accident de travail. Un méchant traumatisme du genou qui nous aurait sans doute – vous et moi- coupé l’envie de travailler pour l’éternité… mais elle… a repris le travail après seulement trois mois d’arrêt.
Son patron lui a proposé un poste aménagé pour finir sa carrière: abandonner le ménage les wagons pour le nettoyage des bureaux. Elle a refusé.
Elle dit les cadences, et les beuglements de la chef d’équipe. Elle dit: un quart-d’heure par rame (11 wagons). Elle dit l’armée de fourmis, chacun son poste. Et puis l’entraide entre collègues quand le genou fléchit, quand le moral aussi. Alliances solidaires.
Elle dit que pour le nettoyage des bureaux, ils ont embauché une petite il y a trois ans. Elle est seule avec deux gamins. Elle dit que dans les wagons elle ne tiendrait pas: trop fragile, et puis les beuglements de la chef d’équipe.
Elle dit que c’est pour ça qu’elle refuse l’aménagement de poste.
Je la regarde. Je sais que je ne peux rien pour elle, et surtout pas lui souffler comme cela arrive parfois l’éventualité d’un nouvel arrêt de travail ou la négociation d’un licenciement pour inaptitude médicale, année de répit-chômage avant la retraite.
Je la regarde. Et je me dis qu’elle a vraiment la classe … ouvrière.
Publié dans La Courneuve, Travail social
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Fès – Mars 2010
Anas a 20 ans. Il nous accompagne dans les allées du cimetière juif du quartier du Mellah. Il dit la jeunesse marocaine, le manque de travail – parfois un jour ou deux par mois, c’est tout – la crise en Europe, « la faillite de l’unesco », les citadelles spa japonaises – imprenables- aux portes du désert.
Il dit « ici l’avenir pour les jeunes c’est… » mais il ne parvient pas à trouver le mot en français. Alors il nous montre avec ses mains.
Un tunnel. Une porte étroite.
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Paris – 1er avril 2010
Elle a fait l’objet d’une main courante pour harcèlement moral parce qu’elle avait fait remarquer à une institutrice qu’elle avait manqué de politesse à son égard.
Elle s’est fait traitée de raciste parce qu’elle a indiqué à une maman dans le bus que son nourrisson un peu plus loin dans une poussette pleurait très fort depuis cinq minutes.
Elle s’est fait frapper par un homme d’un âge respectable parce qu’elle fumait sur un quai de la Gare de Lyon.
Il s’est vautré dans un platane parce qu’il lui a fait un queue de poisson estimant qu’il lambinait un peu au feu.
Avril s’est découvert d’un fil, le fil d’Ariane, nous laissant – justiciers sociopathes – sur le fil du rasoir
La Courneuve – 6 janvier 2010
Elle n’avait jamais quitté sa mère. Ses frères non plus d’ailleurs. D’exils en exils, il se sont sédimentés, au chaud du ceint du sein, inféodés au diktat de leur mère.
Et puis, l’année dernière, leur mère est morte.
Il y a quelques semaines, elle est venue me voir. Elle a dit qu’à 55 ans, il était temps pour elle de vivre sa vie, de quitter La Courneuve, de trouver un emploi. Elle a dit qu’elle voulait vivre comme tout le monde.
Elle a dit qu’elle savait que c’était sa famille qui l’avait rendue malade à force d’étouffement, et que là où elle irait, rien ne serait jamais plus comme avant.
Elle a dit qu’elle voulait aller vivre à Castres.
« L’inconscient est structuré comme un langage » Jacques Lacan
30/12/09 – La Courneuve (93)
« Vous voyez le trou dans la barre, là ? Et bien avant, c’était chez moi. »
Quand elle m’a dit ça, je n’ai pas relevé. Il faut dire qu’elle en raconte tellement Madame Z. que les psychiatres appellent ça une pathologie. Dans la vie courante on dirait qu’elle a « une case en moins ».
… Et puis au fil des rencontres avec les habitants et les partenaires, j’ai commencé à mieux connaître l’histoire du quartier.
Comme tant d’autres, la cité des Quatre Mille Logements a été construite dans les années cinquante (1956) dans cette France glorieuse, en pleine reconstruction. L’appel à la main d’oeuvre était fort. Venus du Maghreb ou du sud de l’Europe, ils espéraient un jour vivre dans les logements modernes qu’ils batissaient de leurs mains.
En ce temps là, la cité des 4000 avait des allures de ville modèle. Pour beaucoup, c’était le premier accès à un logement bénéficiant de l’électricité, de l’eau courante, et du chauffage.
La cité cosmopolite résonnait d’accents des quatre coins du monde et de Navarre. Juifs, chrétiens, musulmans ou anti-cléricaux, fonctionnaires ou ouvriers, ils avaint en commun de connaître la valeur du mot « ensemble ».
… Et les Quatre Mille Logements étaient justement un « grand ensemble ».
Mais les beaux jours passés à remercier la France du haut des tours en contemplant les gazomètres, le Sacré Coeur et la Tour Eiffel ne durèrement pas longtemps.
La guerre d’Algérie et le premier choc pétrolier oeuvrèrent ici comme ailleurs: le taux de chômage augmentait, et la cité construite en urgence à titre provisoire montrait ses premiers signes de dégradations… travail d’arabes, et de tant d’autres… boucs émissaires.
Dans les années 80, les premières colères de la jeunesse des quartiers fit naître une nouvelle discipline: la politique de la ville (comme si politique ne signifiait pas déjà affaires de la cité !).
Chercheurs, artistes, journalistes analysèrent que les quartiers s’insularisaient (ou qu' »on » les mettait au ban… tout dépend du point de vue).
Un architecte se pencha sur le monstre des 4000: le Grand Balzac (185 m de long/50 m de haut). Il fut décidé qu’en l’agrémentant de trois arches suspendues, ouvrant la cité sur l’ailleurs, la vie serait plus belle. Il s’agissait de donner du champs et des possibles à ses habitants. Réhabilitation de l’espoir.
Pour ce faire, trois blocs de deux logements furent supprimés.
Le trou dans la barre que vous voyez, là… c’était chez Madame Z.
Une partie de son histoire se résume à ce trou – béance- …une case en moins dans le bâti de son histoire.
Une partie seulement…
Madame Z. est née en Algérie, avant l’Indépendance. En 1962, elle quitte la maison de son enfance, qu’elle ne reverra jamais pour un pays qui n’est ni le sien ni celui de ses ancêtres… mais c’est comme ça, Crémieux l’a décrété. La famille occupe alors un duplex au Grand Balzac. En 1980, la réhabilitation de l’espoir oblige la famille à déménager dans une barre voisine: Renoir. Celle-ci sera détruite en 1998. Elle quitte alors Renoir pour Presov, détruite en 2003, et réintègre le Grand Balzac.
En 2006, dans la perspective de sa démolition à l’horizon 2010, on entame l’opération de relogement…
Madame vit actuellement dans un quartier de la commune. Jusqu’à quand ?
Les psychiatres disent qu’elle souffre de troubles de la personnalité, qu’elle est morcelée…
Fès – Bab Khokha – Mars 2010
Le long d’un mur des hommes attendent, assis sous un soleil de plomb. Devant eux, un seau, des rouleaux, une pelle, une pioche… tout corps de métier.
Combien de temps d’attente -ouvriers pénélopes- pour une heure de travail ?
Publié dans Ethnotexte, Maroc
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20 décembre 2009 – Rue Caillé – Paris 18
Ce matin, je suis retournée rue Caillé. De l’Hôtel du Progrès, il ne me reste que la photo de Monsieur F. « pour me souvenir ».
Un peu plus loin, rue du département, plus personne ne sera jamais solidaire avec les sans papiers… plus personne ne sera jamais illégal: de charmantes résidences, « où rien ne dépasse, où tout sent l’uniformité à plein nez et le pouvoir d’achat » ont remplacé les immeubles insalubres.
Dans la cour d’un de ces petits paradis, placardé en lettres rouges: « Jeux interdits ». Et les enfants des classes moyennes se playstationnent dans leurs salons. Chacun pour soi.
7 octobre 2005 – Rue Caillié – Paris 18
Monsieur F. a vécu quinze ans à l’Hôtel du Progrès. Bientôt, l’immeuble sera rasé. Il ne sait pas s’il sera relogé… il ne sait pas où il sera relogé.
Il me demande de le prendre en photo « pour me souvenir »
Derrière mon objectif, je n’ai pas eu le cœur de lui demander de sourire, pas eu l’envie de la parole complice, qui déride…
La Courneuve – 26 mars 2010
Elle a quarante ans. Lui un peu plus. Ils ont quatre enfants. C’est à la naissance du dernier il y a un an qu’ils ont appris qu’elle était atteinte d’un cancer généralisé.
On se mobilise autour de la famille, on sollicite des dispositifs, on remplit des dossiers… mille feuilles…
Millefeuille administratif à la française. A ce jour – un an plus plus tard – rien n’a vraiment encore été mis en place… rien qui ne réponde aux besoins réels de la famille…
Les associations d’aide aux parents dans les actes de la vie quotidienne n’interviennent pas avant 8h30 le matin… et pour monsieur le coup de bourre, c’est au réveil des enfants… à 7h
L’aide ménagère ne peut pas intervenir lorsque madame est hospitalisée. Et madame est souvent hospitalisée.
Nous avons demandé il y a un an le financement d’un sèche linge afin de soulager monsieur… elle a été accordée… mais l’aide s’est perdue dans le dédale des couloirs d’une administration.
Le financement d’une aide à la toilette prend au bas mot dans le département un an et demi… si l’on voulait activer une procédure d’urgence, permettant de leur préserver leur statut d’époux, il faudrait que monsieur quitte le domicile, qu’il y ait brutale rupture de la présence de l’aidant familial.
Oui mais voilà, monsieur ne partira pas… fatigué, usé il exprime son dépassement, son besoin d’aide… comme il peut. Aujourd’hui son épouse et lui ont eu une violente dispute. Elle dit « moi je ne suis pas une fleur, et lui il porte trop, il fallait bien que ça arrive » . Tarte.
48 heures de garde à vue.
Et nous… inconfortés par notre impuissance – bombe à retardement- qui parlons de violence contextuelle, nous heurtant chaque minute un peu plus aux paradoxes du millefeuille – coupable(s) ?- Perdus dans ces temps parallèles entre tarte et millefeuille. Violence institutionnelle.
Paris- 7 octobre 2005
Rue Maubeuge. Un groupe d’hommes a élu « domicile » sous l’auvent d’un immeuble. Récupérant du mobilier de bureau jeté, ils ont aménagé un surréaliste « salon de rue »…
Il sont polonais, ils viennent de Belgique, et sont en France depuis un mois… pour trouver du travail, à l’aube, sur les chantiers…
Au teint ictère de l’un d’entre eux, alité, il y a fort à parier que certains d’entre eux finiront à Lariboisière, si on veut bien les accepter.
Ils me demandent de les prendre en photo: « On est des frères », me disent-ils… de galère…
Je ne peux m’empêcher d’avoir un pincement au coeur, à la vue de ces gaillards venus en terre promise ( « y a pas mieux qu’ici » ) pour s’y casser les dents…
Lu dans Le Monde ce soir, l’éditorial, suite à la mort des six émigrants africains au feu des barbelés, et des tirs de police espagnols.
… « Marcher dans une ville d’Europe… c’est déjà ça » ?
Publié dans Ethnotexte, Paris
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27 juillet 2006 – Le Bourget (93)
Quarante six ans, manchettes, cheveux gominés, costume impeccable. Antoine Dumas a vendu au porte à porte des encyclopédies, des pavillons, du vin, des cuisines aménagées, des sacs de congélation, et des montres de luxe… Rapide, méthodique, rigoureux.
« Qu’importe la coupe, pourvu qu’on ait l’ivresse » me dira-t-il un jour.
Et puis un jour d’objectif non atteint, de contrat non rempli, Antoine Dumas a détruit à grands coups de mocassins cirés les rétroviseurs de la rue B. Rapide, méthodique, rigoureux… 100% des rétroviseurs de la rue B.
Jugé irresponsable, et condamné à l’injonction thérapeutique, Antoine Dumas bouffe du cacheton depuis dix ans…Ralenti, extatique, silencieux.
28 décembre 2009 – La Courneuve (93)
Il revient du bled. Et il dit qu’il ne se reconnaît plus parmi ses frères. Ceux- là mêmes aux côtés desquels il a lutté pour la Libération Nationale. Il dit qu’il s’inquiète pour l’éducation des plus jeunes à qui « on n’apprend rien à l’école, rien qui permette de comprendre le monde et de devenir des Hommes »
Il dit le pouvoir et l’argent, leur fascination, leur perversion… et la tornade libérale: toujours plus.
Il dit « quand j’étais jeune, si on avait un âne, c’était déjà une Mercedes… aujourd’hui pour eux, même la Mercedes c’est pas assez… les ânes »
Il dit, regard amer: « c’est dur de s’être battu pour notre liberté et de voir que nos petits enfants n’en font rien »
Il dit son algéritude blessée.
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3 juillet 2006 – La Courneuve (93)
Il vient me voir régulièrement, pour un papier administratif qu’il ne comprend pas, parce qu’il y avait de beaux fruits au marché aujourd’hui « tenez, je vous en laisse un », pour savoir si je vais bien… pour parler aussi parfois…
Il est arrivé d’Algérie en 44, après avoir servi dans l’armée française.
Il me raconte la France, et le Paris des années soixante. Le bar de nuit qu’il dirigeait. La ratonnade du 17 octobre 61… et cette cicatrice qui depuis lui barre le visage. Il me parle de l’Algérie d’avant l’indépendance aussi, de la solidarité entre les hommes, juifs, chrétiens, musulmans. Il me parle de son engagement politique à La Courneuve, et de son attachement aux 4000.
Il me dit « on n’a jamais l’occasion de boire le thé ensemble » et il sort d’un sac usé de supermarché deux verres, et un pot de confiture aux exhalaisons de menthe sucrée.
Dans ce petit bureau gris d’institution, il me parle de mon histoire…
… nous raccommodons l’Histoire.
Mars 2010 – Fès – Maroc
2010. Ils ont dix ans dans la médina. Et demain, qui seront-ils ?
Artisans, marchands… comme leurs pères, et leurs pères avant eux ?
Endettés dans un petit appartement de la ville nouvelle dont les panneaux publicitaires vantent les joies de la propriété individuelle ?
Peut-être auront-ils un diplôme dont ils ne pourront rien faire.
… Et un talent sous le boisseau…
Publié dans Ethnotexte, Maroc
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Juin 2009 – Aubervilliers
Miles Davis. Sans ascenseur pour l’échafaud, juste une échelle, c’est plus tendance, bouleversement durable.
Le dimanche, je flanelle, je tweed un peu.
La semaine, je bleu du noir dans une taule froissée par l’économie de marché.
On m’entreprise éthique en toc, on m’écologise d’un zeste pressé.
Et je bleu du noir, cadence, dans une taule froissée par l’économie de marché.
A ma chaise à la chaîne je m’enchaîne, mais ma chaîne a la chaise électrique ces temps-ci, c’est la crise.
Sans apparat je chute, c’est pas à nous qu’on donne les parachutes.
Maintenant, j’me aiRaiMIse, je eRrhaisSAsse. Je bleu du noir, brisé par l’économie de marché.
Je france d’en bas, sans ascenseur pour l’échafaud, juste une échelle, perfide, aux barreaux brisés par l’économie de marché.
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La Courneuve – 22 mars 2010
Je le connais depuis trois ans.
Il parle et comprend le français, mais il ne l’écrit pas, et il ne le lit pas. Comme il est pratiquant, sans doute le vendredi porte-t-il l’habit traditionnel pour se rendre au culte… Il mange hallal, et peut-être chez lui y-a-t-il un sédali. Sûrement qu’à la maison on mange sans couverts, et dans une même assiette pour toute la famille. Peut-être même n’y a-t-il pas de papier hygiénique dans ses toilettes.
Tout à l’heure il est venu me voir. Il s’est assis et il a sorti de son portefeuille sa carte d’électeur. Lent cérémonial.
Puis il m’a dit – fierté kabyle, sourire enfant – « J’ai voté. C’était la première fois. Aux deux tours. Regarde les tampons. Et toi, t’as voté ? »
J’ai sorti ma carte d’électeur avec ses deux tampons.
Nous avons ri… identité nationale ?